En cette année ignatienne, nous publions une série d’homélies que le Père Général Kolvenbach a prononcées à l’occasion des fêtes de saint Ignace. Dans cette homélie, le Père Kolvenbach parle de l’ordination sacerdotale de St. Ignace.
Eglise du Gesù, Rome 31 juillet 1987
Cette année, en célébrant l’Eucharistie du Seigneur en l’honneur de saint Ignace, nous devons mettre en relief un moment particulier de la vie apostolique de S. Ignace de Loyola et méditer à son sujet. il y a exactement quatre cent cinquante ans, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste, le 24 juin, maître Ignace et ses compagnons recevaient l’ordination sacerdotale dans une petite chapelle privée d’un palais vénitien. Cette ordination qui se déroulait selon les règles établies, baignait néanmoins dans une atmosphère particulière, tant elle était fidèle à l’esprit qui animait l’apostolat d’Ignace pèlerin laïc et qui animera aussi la mission apostolique d’Ignace prêtre, le témoignage de la gratuité.
Laïc, Ignace était déjà profondément marqué par ces mots du Seigneur: « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Il lui suffisait de se considérer soi-même – nous disent les Exercices Spirituels – pour y découvrir l’amour gratuit de Dieu notre Père, parce que sa vie, comme beaucoup de nos vies, méritait -je cite saint Ignace – « de nouveaux enfers pour que j’y souffre pour toujours » (Ex. Spir. 60). C’est la gratuité de l’amour de Dieu notre Père qui nous a aimés le premier alors que nous étions pécheurs. Il suffisait à S. Ignace de voir une croix du Seigneur Jésus avec le flanc transpercé pour sentir la gratuité divine de l’amour du Christ « comment, de Créateur, il en est venu à se faire homme … à mourir pour nos péchés » (Ex. Spir. 53). Il suffisait à saint Ignace de considérer autour de lui la réalité des hommes et des choses de tous les jours pour y découvrir que l’Esprit – Celui qui est l’amour venant d’en haut – remplit gratuitement tout l’univers en transformant nos joies et nos peines en une grande Pâque, si notre réponse ose se revêtir de la gratuité d ‘amour « dans les actes plus que dans les paroles » (Ex. Spir. 230).
Ce témoignage de la gratuité de Dieu qui caractérise sa vie de pèlerin laïc, S. Ignace veut le vivre en tant que prêtre itinérant. Saint Ignace ne sera donc pas ordonné prêtre pour un diocèse ou un lieu déterminé, mais pour être apostoliquement disponible au service du Vicaire du Christ sur des terres, partout au monde, où il puisse prêcher la parole de Dieu et réconcilier les hommes avec leur Sauveur, par le sacrement de la réconciliation. Leur sacerdoce, dira plus tard un compagnon, ne sera pas celui de S. Pierre, qui confirme les églises existantes dans leur communion, mais bien celui de S. Paul, qui parcourt la Terre pour annoncer le Seigneur crucifié et ressuscité là où il est inconnu, ou méconnu. C’est un sacerdoce pour la mission, caractérisé par la gratuité de cette disponibilité apostolique qui se laisse envoyer là où le Seigneur de la vigne veut avoir besoin de nos énergies, de nos richesses et même de nos faiblesses.
Saint Ignace empreint aussi l’ordination de Venise d ‘un autre aspect de ce témoignage de gratuité. A la suite du Seigneur, qui a révélé gratuitement le coeur de Dieu son Père, S. Ignace voudrait prêcher en toute pauvreté le Seigneur crucifié et ressuscité. Quelques jours avant son ordination, il renouvelle avec ses compagnons le voeu de pauvreté totale et perpétuelle: tous seront ordonnés à titre de pauvreté volontaire. Selon les paroles de l’Evangile, ils reçoivent gratuitement l’ordination sacerdotale afin de pouvoir se donner avec gratuité au peuple de Dieu. Plus tard, tandis qu’il se débat avec le texte des Constitutions, Ignace acceptera de recevoir, pour aider à l’annonce du Règne de Dieu, des institutions et des résidences, des églises et des collèges, mais il ne manquera pas de leur imposer des normes strictes afin qu’ils maintiennent le témoignage de la gratuité apostolique, sans laquelle ce n’est pas le Seigneur crucifié et ressuscité que l’on prêche.
Dans l’optique actuelle, l’homme vaut pour ce qu’il produit, ce qu’il gagne; un groupe d’hommes compte dans la mesure où il fait des choses. La vie apostolique vécue dans l’Eglise par un laïc, un prêtre ou un religieux, risque d’être évaluée et jugée sur base de leur efficacité et du retentissement de leurs activités. S. Ignace lui-même risque d’être admiré comme organisateur professionnel. Mais pour son Seigneur et à son exemple, Ignace veut être considéré seulement comme témoin gratuit de ce qu’il ne cesse de recevoir gratuitement de sa Majesté divine, la Sainte Trinité. Après l’ordination sacerdotale reçue à Venise, S. Ignace et ses compagnons ne se jettent donc pas dans l’activité apostolique mais, à la suite du Seigneur qui s’était retiré dans le désert avant d ‘aller annoncer le Royaume, ils se dispersent en petits groupes dans les villes du Nord de l’Italie pour se laisser saisir par le seul Seigneur dans le silence absolu, certains de ne pouvoir donner ce qu’ils n’ont d’abord reçu gratuitement de Dieu. Ensuite seulement, ils donneront gratuitement le meilleur de soi, prêchant la parole de Dieu, soignant les malades et aidant toute personne spirituellement ou matériellement pauvre.
Ils apprennent de l’Eucharistie, chaque fois à nouveau et concrètement, à ré-inventer la façon de toujours donner gratuitement ce qu’ils reçoivent gratuitement de Dieu. Ce n’est pas la mentalité de notre temps, mais telle est bien la voie pascale de Dieu que nous choisissons en recevant ce soir, dans l’esprit de gratuité dont saint Ignace fut le témoin, le Corps et le Sang du Seigneur.
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