François Xavier: Sa propre conversion et la conversion des autres en interaction
Cet article a été publié pour la première fois dans l’Annuaire des Jésuites de 2021. Vous pouvez trouver l’intégralité de l’annuaire en suivant ce lien.
Tout a commencé en 1528, lorsqu’Ignace de Loyola est apparu dans la vie de François Xavier, à Paris. À l’époque, Xavier poursuivait un but considéré normal pour un jeune de famille aristocrate. Il aspirait à obtenir un diplôme de la prestigieuse université de Paris, avec l’espoir d’obtenir un jour l’évêché de Pampelune. Le regard d’Ignace s’est posé sur ce jeune ambitieux ; pendant trois ans, il ne lâchera rien jusqu’à ce que le jeune embrasse un idéal transcendant : vivre et mourir pour le Christ et non pour soi-même. L’étincelle est devenue flamme, et le feu ne s’éteindra plus jusqu’à son dernier souffle.
Il semblerait que François ne ressentait pas spécialement le besoin de conversion puisqu’il n’y avait rien de gravement immoral dans sa vie. Cela rendait la tâche d’Ignace d’autant plus compliquée. Mais Dieu est intervenu et a réalisé, en François Xavier, la conversion qui semblait impossible. Les Exercices spirituels qu’il a faits, accompagné par Ignace, ont été décisifs. Xavier était champion du saut en hauteur à l’université ; pendant les Exercices, il attacha ses bras, ses hanches et ses jambes si fortement qu’il courut le risque de se les faire amputer. À partir de ce moment, il ne recherchera plus sa gloire personnelle. Les Exercices l’ont touché si profondément qu’il a fait siennes les ambitions de Dieu.
La Compagnie de Jésus a été fondée principalement pour la défense et la propagation de la foi. Envoyé en Orient, François Xavier, fin connaisseur de l’esprit d’Ignace, s’est consacré avec ferveur, et non au ralenti, au soutien de ses proches et à la recherche de leur salut. Le passage où il raconte comment ses bras sont fatigués de baptiser une multitude, est devenu légendaire. Pour autant, sa mission d’évangélisation se limitait-elle exclusivement au salut des « âmes », à les sauver de l’enfer pour ne pas avoir reçu le baptême ?
Xavier ne s’est pas limité à baptiser, il aidait aussi la grâce à produire un effet dans la vie des baptisés, en encourageant leur changement de vie. Il aspirait à ce que tous ceux qui entraient en contact avec la personne du Christ puissent se libérer de toutes les conditions humaines qui les rendaient esclaves, qu’elles soient intérieures (alcoolisme, luttes fratricides, promiscuité…) ou extérieures. Lorsque les Badagas du nord ont attaqué les Paravas, population vulnérable de la côte orientale de l’Inde, et qu’ils mouraient de faim dans les îlots rocheux de Cap Comorin, François Xavier a tout risqué, sa vie même, pour venir à leur secours. Il a protesté auprès du roi du Portugal lorsque ses capitaines exploitaient injustement les pauvres pêcheurs de perles.
Pour Xavier, la conversion, telle qu’il l’avait expérimentée lui-même, est une rencontre avec le Christ vivant qui transforme la personne toute entière. Cette vision holistique est sous-jacente dans la prière qu’il a composée « pour la conversion des Gentils » (vers 1548). Il affirme que tous les êtres humains sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. La prière se temine ainsi : « Fais qu’eux aussi connaissent Jésus Christ (…) qui est notre salut, notre vie et notre résurrection, par qui nous sommes libres et sommes sauvés… ».
Dans ses lettres, nous pouvons lire aussi que François approuvait la destruction des statues des dieux païens, et qu’il s’en réjouissait. Ceci peut offenser notre sensibilité humaine et chrétienne d’aujourd’hui. Comment est-il possible qu’un homme aussi profondément touché par l’amour du Christ puisse faire preuve d’une telle attitude ? Ses facultés intérieures n’avaient-elles pas besoin d’une plus grande guérison ? En effet, elles en avaient bien besoin. La conversion est un travail inachevé et non pas l’évènement d’un seul instant. Le feu de son zèle initial n’avait pas réussi à dégager toutes les ombres de son intellect. Avant son premier voyage missionnaire de l’Inde à Malaca, Xavier a fait une retraite en silence auprès du tombeau de l’apôtre Thomas à Mylapore. Si ceci a participé à sa conversion permanente, l’expérience de son deuxième voyage missionnaire au Japon lui a appris des leçons d’humilité précieuses. C’est ici que François va permettre à la grâce de toucher les zones d’ombre de son esprit. Ainsi, il devient capable de penser « hors de la boîte » et de changer ses stratégies d’évangélisation. Il lève le pied de l’accélérateur ; il fait des efforts pour comprendre l’autre, sa culture et sa religion, avant de chercher à le convertir. Xavier en arrive même à accepter la nécessité d’entrer par la porte de l’autre. Pour permettre aux Japonais de connaître Jésus, il sera prêt à laisser de côté ses idées préconçues sur la conversion. Son zèle pour les âmes n’avait pas disparu ; si les flammes dévoratrices du début s’étaient réduites, le feu de son zèle a brûlé avec encore plus d’ardeur et de continuité.
François Xavier a voulu entrer en Chine parce qu’il était convaincu que la conversion de ce pays faciliterait la conversion de tout l’Orient. Dans ses lettres, nous retrouvons l’expression « ouvrir un chemin pour d’autres ». La frénésie de son activité initiale pouvait donner l’impression qu’il prétendait baptiser lui-même tout le monde… L’expérience lui apprend que sa mission consistait à ouvrir le chemin pour d’autres, chose qu’il fit en effet, au bénéfice des futurs missionnaires arrivés à sa suite.
La conversion personnelle de Xavier et la conversion des autres s’influencent mutuellement. Sa conversion personnelle l’a poussé à aider les autres à se sauver, et cet objectif a déclenché en lui-même une transformation plus profonde. Dans son voyage missionnaire, il a dû surpasser constamment toutes sortes de limites, aussi bien internes qu’externes. Ceci lui a valu le titre sanscrit de Sant Aniruth – l’illimité.
Traduction de Beatriz Muñoz Estrada-Maurin